digérer allègrement l'ennemi qu'il va dévorer (14) Ce sont des
souhaits de bon appétit, qui ne manqueront pas d'avoir
un écho fatal dans l'oreille du malin.
Que l'on ne doive pas s'étonner de trouver de telles puérilités
dans la superstition qui a fait graver ces talismans, c'est ce que
montre une pierre magique que j'ai copiée il y a quelques années chez
un marchand de Beyrouth. C'est une belle hématite, que reproduit notre
figure 3. je ne m'arrêterai pas aujourd'hui à discuter son revers,
dont j'avoue que le sens m'est obscur, et ne considérerai que l'image
qui orne sa face. En bas et à gauche est un guerrier cuirassé et
casqué, armé de la lance et du bouclier; au dessus de lui, un foudre.
Tout le reste de la surface est occupé par ce que l'on appelait, en
magie, un pterygônia, une figure en aile, formée par-la répétition
d'une même formule, à laquelle on enlève, de ligne en ligne., une
lettre, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus (15). Le prestige de ces
jeux, comme celui des palindromes, tenait à ce qu'ils pouvaient être
lus dans plusieurs sens, et amenaient des rencontres mystérieuses. Le
pterygôma de notre gemme est formé par la phrase suivante
átu ce qui signifie: Tantale assoiffé, bois le sang. Le guerrier
figuré sur la gemme n'est probablement autre que Tantale, et c'est lui
qui reçoit, pour effrayer le malin, ce conseil sanguinaire. Peut-être
le talisman était-il enterré comme tant d'instruments de défixion dans
un tombeau, vestibule du Tartare, et se flattait-on d'attirer en effet
la colère de Tantale sur l'ennemi, mais je croirais plutôt qu'il était
porté par son propriétaire, et que Tantale était censé faire peur au
malin comme faisait l'ibis. La présence de Tantale sur cette gemme
confirme, je crois, l'interprétation que j'ai donnée des mots et
. De même que l'on avait choisi Tantale comme épouvantail à
cause de la soif qui le rendait redoutable, de même faisait-on dire à
l'ibis : Je suis affamé, et lui disait-on : bonne digestion.
M. Ingholt a bien voulu lire pour nous l'inscription hébraïque
gravée au revers de notre talisman, et nous dire qu'il avait songé
d'abord à y lire l'interjection , c'est à dire "paix" ou
"salut", mais qu'il semblait bien plus probable d'y' reconnaître le
nom bien connu de Salomé, qui est donné par l'inscription
grecque. L'orthographe sans indication de la voyelle finale, se
rencontre sur plusieurs ossuaires juifs (*). Quant au nom de la mère,
Nartêr ou Artér, il
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14. L'impératif de nos intailles est
donc plutôt comparable à celui qui se lit sur un jaspe de la
collection Poche, à Alep, et qui s'adresse à Orôriouth, démon
protecteur de la matrice : (Jalabert et Mouterde,
Inscriptions grecques et latines de la Syrie, no 2 2 2). Une intaille
figurant Éros adresse à ce dieu le commandement suivant : ,
donne-moi l'âme de Secundilla, à moi qui porte ce talisman
(Conze,
Lesbos, p. 20, pl. 10, no 4).
15. Sur ces figures, voir notamment Dornseiff,
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Das Alphabet in Mystik und
Magie, p. 63 s.
* Cf. Clermont- Ganneau, Archaeological Researches in Palestine,
1, p. 400-403, no 9 et 10; p. 415-416, no 32; p. 444-446; Mayer,
Bulletin of the British School of Archaeology in Jerusalem, 5, 1924,
p. 59, 11' 8 et 9. La même orthographe à Palmyre : Ingholt, Studier
over Palmyrensk Skulptur, PS 41 et 525; p. 67, note 4.-La forme
grecque est ordinairement (Clermont- Ganneau, op. cit.,
p. 441-442, no 41; Mayer, op. cit., p. 59, no 11).
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